Luis Antonio Tagle, le cardinal-qui-plaît-aux-jeunes
Luis Antonio Tagle, Philippin, 65 ans, n’a certes pas une pensée d’une grande originalité, mais elle est délibérément progressiste. Il fut l’élève brillant des jésuites, et a obtenu ses grades théologiques à la Catholic University de Washington. Il a pris part aux travaux de L’Histoire de Vatican II, éditée par l’École de Bologne (Giuseppe Alberigo, Alberto Melloni), qui est typiquement une histoire « selon l’herméneutique de rupture ».
Il est devenu le cardinal-archevêque de Manille des mains de Benoît XVI, qui se plaisait à élever des universitaires reconnus, fussent-ils partisans de « l’herméneutique de rupture ». Et le pontificat bergoglien en a fait un personnage de premier plan : en 2014 et en 2015, il était l’un des co-présidents des deux assemblées du Synode sur la Famille, faisant ces apparitions « jeunes » qu’il affectionne : c’est un « bon gars », dit-on de lui.
Il n’a point besoin de tisser des réseaux : toutes les tendances de mouvement agissent pour lui. Le cardinal Rodriguez Maradiaga, du Honduras (du Conseil des cardinaux qui a préparé la fameuse réforme de la Curie), l’a propulsé au titre de « défenseur des marginalisés » à la présidence de Caritas Internationalis pour lui succéder.
Donné comme un grand représentant de « de la pensée théologique asiatique », le 8 décembre 2019, il était nommé préfet de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples. La réforme de la Curie a regroupé en un seul dicastère cette Congrégation et le Conseil pontifical pour la nouvelle Évangélisation. Nommé Pro-Préfet d’une de ses deux sections, il y a été comme posé comme sur un piédestal. Pro-Préfet seulement parce que le pape, pour signifier la prééminence de ce Dicastère, en est le Préfet, de même qu’avant le Concile les papes, maîtres de la doctrine, étaient eux-mêmes Préfets du Saint-Office.
Mais les responsabilités romaines et l’atmosphère plus que tendue du monde curial actuel ont montré les limites de Tagle et affecté sa santé : il a été victime du fameux syndrome d’épuisement professionnel, d’un burn-out. Souriant et énigmatique, il reste cependant « en réserve ».
Jean-Claude Hollerich, le cardinal synodal
Le cardinal Hollerich, Luxembourgeois, 64 ans, est, pour sa part, plus que l’ami des jésuites, il est jésuite. Ordonné en 1990, il fut intégré à la province jésuite du Japon, dont il connaît la langue et la culture (il a enseigné à l’université Sophia de Tokyo). Archevêque ratzinguérien de Luxembourg en 2011, il est devenu cardinal bergoglien en 2019.
Sandro Magister lui a réservé un article assassin : « Si le conclave souhaite un François bis, voici son nom et son programme »[1]. Il a été nommé en 2021 rapporteur général du grand synode pluriannuel sur la synodalité, lequel est en partie conçu comme un moyen de transaction avec les « excès » du Chemin synodal allemand. Il a eu ainsi l’occasion, en une série d’entretiens, de détailler une sorte de programme modéré.
Il s’est opposé à la déclaration de l’avortement comme droit fondamental par le parlement européen, mais il comprend que l’on soit préoccupé par la dignité des femmes et pense que le discours de l’Église pour la défense de la vie n’est plus audible et qu’il faut trouver d’autres voies. Lesquelles ? Il n’en dit rien. Il souhaite, « après mûre réflexion », qu’on ordonne des hommes mariés parmi des viri probati, ce qui permettrait de solutionner, croit-il, la crise des vocations. Il ne juge pas utile que des femmes soient ordonnées, dans la mesure où la reconnaissance des virtualités du sacerdoce commun des baptisés leur permettra d’exercer de nombreux rôles d’importance. Concrètement, il fait sienne la mesure de transaction qui est dans l’air du temps : les femmes n’ont pas à consacrer l’Eucharistie, mais on peut leur confier l’homélie.
Et surtout : « Nous devons changer notre façon de voir la sexualité ». En effet : « « Les positions de l’Église sur le caractère peccamineux des relations homosexuelles sont erronées. Je crois que les fondements sociologiques et scientifiques de cette doctrine ne sont plus corrects. » Cela vaut a fortiori pour les divorcés « remariés » et même pour les protestants : « À Tokyo, je donnais la communion à tous ceux qui venaient à la messe. Je n’ai jamais refusé la communion à personne. Je partais du principe que si un protestant venait communier, c’est qu’il savait ce que les catholiques entendent par la communion, au moins autant que le savent les autres catholiques qui participent à la messe. » Mais d’ajouter : « Cependant, je ne concélébrerais pas avec un pasteur évangélique. » Ouf !
Arthur Roche, le cardinal qui veut en finir avec la liturgie traditionnelle
Le tout nouveau cardinal Arthur Roche, n’a pas l’envergure d’un personnage historique, ni ne cherche à l’être : l’Auream quisquis mediocritatem diligit, d’Horace, Quiconque aime la médiocrité dorée…, s’applique bien à sa personnalité. Mais ce grand humaniste a réussi à se glisser parmi les possibles post-François. Et il est devenu l’homme d’une idée : néantiser les adversaires de la réforme liturgique.
Anglais du Yorkshire, 71 ans, il a dû sa nomination comme Secrétaire du Culte divin, en 2012, par Benoît XVI, au fait qu’il connaissait mieux que personne le dossier des traductions anglaises de la nouvelle liturgie (il avait présidé l’International Commission on English in the Liturgy, ICEL, le très libéral organisme de coordination entre les conférences épiscopales anglophones).
Le nouveau pontificat advenu, il a participé activement à la mise en place par étapes de l’offensive contre la liturgie traditionnelle : motu proprio de 2019, qui supprimait la Commission Ecclesia Dei ; lancement, en 2020, par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, auprès de l’ensemble des évêques de l’Église latine d’une enquête sur l’application du motu proprio Summorum Pontificum ; publication de Traditionis custodes, le 16 juillet 2021, accompagné d’une lettre du pape aux évêques annonçant clairement l’intention des rédacteurs : faire disparaître à terme l’ancienne lex orandi. Elle était mise sous la tutelle de la Congrégation pour le Culte divin et des Sacrements, en d’autres termes sous la tutelle d’Arthur Roche qui en était devenu Préfet.
Et le 18 décembre 2021, par ses Responsa, des réponses à des questions censées avoir été posées à la Congrégation au sujet de Traditionis custodes, le Préfet Roche en rajoutait. Seul le missel traditionnel, et donc la célébration de l’Eucharistie, restait permis comme tolérance. Il interdisait l’usage des autres livres (rituel des sacrements et pontifical de l’évêque) et interdisait donc de célébrer traditionnellement tous les autres sacrements : baptêmes, pénitences, confirmations, mariages, extrêmes-onctions et ordinations. Théoriquement.
Ou bien alors le bobo-cardinal Tolentino de Mendonça ?
Le Catholic Herald, qui affirme avec assurance que la course du pré-conclave se joue actuellement entre Tagle le progressiste, Erdö le conservateur[2] et Matteo Zuppi, situé dans un centre indéfini[3], remarque cependant qu’une élection pontificale se fait aux deux tiers des voix et nécessite donc un large consensus. Du coup il avance un nouveau nom, celui du nouveau cardinal José Tolentino de Mendonça, qui serait « le genre de figure acceptable pour toutes les factions et capable d’attirer un large soutien parmi elles.[4] » Portugais de Madère, bientôt 57 ans, bibliste de formation, il a essentiellement eu une carrière académique et est devenu archiviste et bibliothécaire de l’Église romaine en 2018, bien que de compétences d’archiviste et de paléographe légères. Invité, la même année, à prêcher la retraite de carême de la Curie, il a été créé cardinal l’année suivante et, à l’occasion de la tout récente réforme de la Curie, il est devenu Préfet du Dicastère pour la Culture et l’Éducation.
Il est déjà l’auteur d’une œuvre très conséquente de poésie, théâtre, essais, prières, qui lui a valu une collection de prix littéraires. Poète blasé, coqueluche des salons de Lisbonne et de l’intelligentsia lusitanienne catho, il a été désigné en 2019 personnalité portugaise de l’année par l’hebdomadaire Expresso.
José de Mendonça, comme il se doit, est bergoglien : « Nous vivons au milieu de la ville, dans cet espace plein de frontières et plein de murs invisibles et de blocages existentiels […] Que les chrétiens soient remariés, blessés par des expériences conjugales naufragées, ou par la réalité de nouvelles familles, ou des homosexuels, ils doivent trouver dans l’Église un espace d’écoute, d’accueil et de miséricorde.[5] »
Il est plus que bergoglien même, car il est très lié avec la Sœur Teresa Forcades, bénédictine de Montserrat, féministe convaincue : « Accepter l’avortement comme un mal mineur n’entre pas en contradiction avec le Dieu chrétien »[6]. Elle est pro-contraception, pro-ordination des femmes, et parcourt le monde pour répandre ses idées : « Je crois que sur le thème de l’acceptation de l’homosexualité ou des minorités sexuelles en général dans l’Église, le pape François n’a pas promu des changements doctrinaux mais l’atmosphère dans l’Église a changé. […] Je peux parler pour moi et pour d’autres compagnes qui travaillent pour une inclusion pleine de l’homosexualité dans l’Église[7]. » Le cardinal poète a donné une préface très élogieuse à son livre, La théologie féministe dans l’histoire[8].
Qui vivra, verra. À bien des reprises et de bien des manières Dieu jadis a envoyé des fléaux pour punir les péchés des chrétiens. Lui seul sait ce qu’il veut permettre demain.
Don Pio Pace
[1] Si le conclave souhaite un François bis, voici son nom et son programme | Diakonos.be.
[2] Péter Erdő, 70 ans archevêque d’Esztergom-Budapest et primat de Hongrie.
[3] La candidature Zuppi, 67 ans, est plombée du côté conservateur par le fait qu’il a préfacé l’édition italienne du livre du P. James Martin, sj, rédacteur en chef de la revue jésuite America, Un ponte da costruire. Una relazione nuova tra Chiesa e persone LGBT (Marcianum Press, 2018). Dans ce type de littérature on ne dit jamais clairement que celui qui demande les sacrements doit avoir cessé, pour les recevoir, d’être installé dans une situation publique de péché. Certes, la préface propose, quant à elle, « une savante pédagogie de la gradualité ». Réserve insuffisamment claire, disent les conservateurs, pour faire espérer un enseignement moral irréprochable.
[4] Enter Cardinal Mendonça, newly-promoted love poet and possible future Pope – Catholic Herald.
[5] Radio Renascença, 22 décembre 2016.
[6] TV5, 11 mars 2016.
[7] Médias-Presse-Info, 18 octobre 2019.
[8] La teologia feminista en la història, Fragmenta Editorial, 2007.