[le blog de Jeanne Smith] Le “testament” du cardinal George Pell : grave mise en garde au sujet du synode sur la synodalité

Le hasard a voulu qu’un texte du cardinal George Pell, évidemment rédigé peu avant son décès inattendu le 10 janvier dernier et confié au journal britannique The Spectator, soit publié moins de 24 heures après sa mort. Le cardinal australien y dénonçait les graves dérives que laisse entrevoir le document préparatoire du synode sur la synodalité qui s’ouvrira en octobre de cette année, qui, disait-il, tourne au « cauchemar toxique ».

Je vous propose ci-dessous ma traduction intégrale de ce texte dont l’original est disponible ici en anglais avec en complément un commentaire du journaliste Damian Thompson sur ce synode qui s’annonce « truqué », notamment par la marginalisation des évêques dénoncée par le cardinal Pell. – J.S.

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Le Synode catholique des évêques travaille actuellement à la réalisation de ce qu’il considère comme la synodalité « rêvée par Dieu ». Hélas, ce rêve divin s’est transformé en cauchemar toxique malgré les bonnes intentions affichées des évêques.

Ceux-ci ont rédigé une brochure de 45 pages rendant compte des discussions de la première étape « d’écoute et de discernement » organisée dans de nombreuses régions du monde ; c’est l’un des documents les plus incohérents jamais diffusés par Rome.

Certes, nous rendons grâce à Dieu de ce que le nombre de catholiques augmente dans le monde, en particulier en Afrique et en Asie, mais le tableau est radicalement différent en Amérique latine où l’Eglise subit des pertes au profit des protestants ainsi que des laïcistes.

Sans la moindre ironie, le document s’intitule « Elargis l’espace de ta tente ». Son objectif est d’accueillir, non pas les nouveaux baptisés – ceux qui ont répondu à l’appel à la repentance et à la foi – mais toute personne suffisamment intéressée pour écouter. Les participants sont invités à se montrer accueillants et radicalement inclusifs : « Personne n’est exclu ! »

Le document n’exhorte personne, pas même les participants catholiques, à faire de toutes les nations des disciples (Matthieu 28, 16-20), et encore moins à prêcher le Sauveur à temps et à contretemps (2 Timothée 4, 2).

La première tâche de chacun, et surtout celle des enseignants, est d’écouter dans l’Esprit. A en croire cette récente mise à jour de la bonne nouvelle, la « synodalité » en tant que mode d’existence de l’Église ne doit pas être définie, mais simplement vécue. Elle gravite autour de cinq tensions créatives, en partant de l’inclusion radicale pour aller vers la mission dans un style participatif, en pratiquant la « coresponsabilité avec les croyants d’autres religions et les personnes de bonne volonté ». On reconnaît les difficultés, comme la guerre, le génocide ou le fossé entre le clergé et les laïcs, mais toutes peuvent être supportées, selon les évêques, grâce à une spiritualité vivante.

La représentation de l’Église comme une tente en expansion avec le Seigneur en son centre vient d’Isaïe, et son but est de souligner que cette tente en expansion est un lieu où les gens sont entendus plutôt que jugés ou exclus.

Ainsi, nous lisons que le peuple de Dieu a besoin de nouvelles stratégies ; non pas de querelles et d’affrontements, mais d’un dialogue dans lequel la distinction entre croyants et incroyants est écartée. Le peuple de Dieu, insiste le document, doit en réalité écouter le cri des pauvres et de la terre.

En raison des divergences d’opinion au sujet de l’avortement, la contraception, l’ordination des femmes à la prêtrise et l’activité homosexuelle, d’aucuns ont pensé qu’aucune position définitive ne saurait être établie ou proposée à leur sujet. Il en va de même pour la polygamie, le divorce et le remariage.

Cependant, le document est très clair quant au problème particulier de la position inférieure des femmes et des dangers du cléricalisme, même si la contribution positive de nombreux prêtres est soulignée.

Comment comprendre ce pot-pourri, ce déferlement de bienveillance New Age ? Il ne constitue pas un résumé de la foi catholique ou de l’enseignement du Nouveau Testament. Il est incomplet, il se montre, à bien des égards importants, hostile à la tradition apostolique et ne reconnaît nulle part le Nouveau Testament comme la Parole de Dieu, comme constituant la norme pour tout enseignement en matière de foi et de morale. L’Ancien Testament est ignoré, le patriarcat rejeté et la loi mosaïque, y compris les Dix commandements, n’est pas citée.

On peut faire d’emblée deux remarques. Les deux synodes conclusifs qui se tiendront à Rome en 2023 et 2024 vont devoir préciser leur enseignement sur les questions morales, car le Rapporteur (rédacteur en chef et responsable), le cardinal Jean-Claude Hollerich, a publiquement rejeté les enseignements fondamentaux de l’Église sur la sexualité, au motif qu’ils contredisent la science moderne. En temps normal, cela aurait abouti au constat de l’inopportunité, voire de l’impossibilité de son maintien en tant que Rapporteur.

Les synodes doivent choisir entre servir et défendre la tradition apostolique en matière de foi et de morale, et leur discernement qui les obligerait à affirmer leur autorité souveraine sur l’enseignement catholique. Ils doivent décider si les enseignements fondamentaux relatifs au sacerdoce et à la moralité peuvent être remisés dans des limbes pluralistes, où certains choisissent de redéfinir les péchés à la baisse et où la plupart sont d’accord pour accepter respectueusement leurs divergences mutuelles. 

« Elargis ta tente » est sensible aux manquements des évêques

En dehors du synode, la discipline se relâche – surtout en Europe du Nord, où plusieurs évêques n’ont pas été réprimandés, alors même qu’ils avaient affirmé le droit de l’évêque à la dissidence ; un pluralisme de fait existe déjà plus largement dans certaines paroisses et ordres religieux au sujet de questions telle la bénédiction de l’activité homosexuelle.

Les évêques diocésains sont les successeurs des apôtres, enseignants en chef dans chaque diocèse, et pivots de l’unité locale pour leur peuple et de l’unité universelle autour du pape, successeur de Pierre. Depuis le temps de saint Irénée de Lyon, l’évêque est aussi le garant de la fidélité permanente à l’enseignement du Christ, la tradition apostolique. Ils sont gouverneurs et parfois juges, ainsi qu’enseignants et célébrants des sacrements : ils ne sont pas là pour faire tapisserie ou servir de béni-oui-oui.

« Elargis ta tente » est sensible aux manquements des évêques, qui parfois n’écoutent pas, ont des penchants autocratiques et peuvent se montrer cléricalistes et individualistes. S’il existe des signes d’espoir, de leadership efficace et de coopération, le document soutient que les modèles pyramidaux d’autorité doivent être détruits et que la seule autorité véritable provient de l’amour et du service. C’est la dignité baptismale qui doit être soulignée, et non l’ordination ministérielle ; et les styles de gouvernance devraient être moins hiérarchiques, plus circulaires et plus participatifs.

Les évêques ont toujours été les principaux acteurs de des synodes (et conciles) catholiques et de tous les synodes orthodoxes. Cela doit être affirmé et mis en pratique de manière délicate et coopérative lors des synodes continentaux, afin que les initiatives pastorales ne dépassent pas les limites de la saine doctrine. Les évêques ne sont pas là simplement pour valider le respect de la procédure et offrir leur « nihil obstat » à ce qu’ils ont observé.

Aucun des participants au synode, qu’il soit laïc, religieux, prêtre ou évêque, n’a avantage à ce que le synode décide que le vote n’est pas autorisé et qu’on ne peut proposer de proposition. Se contenter de transmettre l’avis du comité d’organisation au Saint-Père pour qu’il fasse ce qu’il décidera constitue un abus de la synodalité et une mise à l’écart des évêques, que ni l’Écriture ni la tradition ne justifient. Il ne s’agit pas d’une procédure régulière, et elle est susceptible d’être manipulée.

A une très large majorité, les catholiques pratiquants réguliers du monde entier ne souscrivent pas aux conclusions du synode actuel. On ne constate pas non plus un grand enthousiasme aux niveaux supérieurs de l’Église. Des réunions continuelles de ce genre creusent les divisions et une poignée de personnes bien renseignées peuvent exploiter la confusion et les bonnes volontés. Les ex-Anglicans parmi nous ont raison de souligner la confusion croissante, les attaques contre la morale traditionnelle et l’intrusion dans le dialogue d’un jargon néo-marxiste autour de l’exclusion, l’aliénation, l’identité, la marginalisation, les sans-voix, les LGBTQ, pendant qu’on détourne ou écarte les notions chrétiennes de pardon, de péché, de sacrifice, de guérison, de rédemption. Pourquoi ce silence sur la récompense ou la punition dans l’au-delà, sur les fins dernières : la mort et le jugement, le paradis et l’enfer ?

À ce jour, la voie synodale a ignoré, voire déclassé le Transcendant ; elle a dissimulé la centralité du Christ derrière des appels à l’Esprit Saint et elle a encouragé la rancœur, surtout parmi les participants.

Les documents de travail ne font pas partie du magistère. Ils sont une base de discussion parmi d’autres, qui doit être jugée par l’ensemble du peuple de Dieu et surtout par les évêques cum Petro et sub Petro. Il faut apporter à ce document de travail des modifications radicales. Les évêques doivent prendre conscience de ce qu’il y a du travail à faire, au nom de Dieu, et le plus tôt sera le mieux.

   Cardinal George Pell 

© leblogdejeannesmits pour la traduction.