Une lettre du 28 juillet du cardinal Westminster Nichols à l’archevêque Mgr Roche, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, posant des questions sur l’application de Traditionis custodes, a été fuitée et publiée par Gloria.tv, complétée par la réponse de Mgr Roche, datée du 4 août. Je vous propose la traduction intégrale de cette réponse rédigée à l’origine en anglais. La rédaction anglaise est entachée de quelques fautes de langue et même d’erreurs probables de vocabulaire ; j’ai conservé tout cela en faisant quelques suggestions qui me paraissent plus cohérentes entre crochets. L’original est accessible ici, l’authenticité de l’échange épistolaire ayant été confirmée par le cardinal Nichols à Catholic News Agency.
La lettre du cardinal britannique, que je n’ai pas traduite, contient six questions concernant l’application de Traditionis Custodes. Nichols a demandé, en substance :
a. si des documents de suivi sur TC seront publiés ;b. si TC abroge la célébration des autres sacrements et le Bréviaire Romain ;c. si le calendrier Novus Ordo doit être imposé au Rite Romain ;d. quelles traductions doivent être utilisées pour les lectures du Rite Romain ;e. qui constitue exactement un « groupe » de rite romain (TC) ;f. si TC autorise les Requiems en rite romain selon l’indult Agatha-Christie de 1971.
La réponse de Mgr Roche n’est pas en tout point précise mais elle contient des affirmations qui laissent comprendre clairement son point de vue fondamentalement hostile à la messe traditionnelle.
Il écrit par exemple : « Tout le contenu de la nouvelle loi est orienté vers le retour et la stabilisation de la liturgie telle que décrétée par le Concile Vatican II. » Comme si la messe de 1969 avait été « décrétée » par un Concile qui s’est achevé en 1965… Mais comprenons donc que pour la Congrégation pour le culte divin, c’est tout un, et que le but de Traditionis custodes est bien l’éradication de la messe traditionnelle.
La réponse a. répond à côté, mais suggère clairement que des éléments pour la mise en œuvre de Traditionis custodes émaneront probablement des deux Congrégations romaines compétentes exclusivement.
La réponse b. est également peu nette quant aux autres sacrements ; elle peut être lue comme laissant aux évêques la main en ce domaine ; mais en même temps elle suggère que la « fausse interprétation » des documents antérieurs et notamment Summorum pontificum, au service d’une croissance de la liturgie traditionnelle dans son ensemble, a été facilitée par des décisions des papes que les évêques locaux n’ont pas su circonscrire en vertu de leur rôle propre. Roche ajoute que cette « croissance… n’avait été ni prévue ni sanctionnée par les pontifes précédents ».
Sur le calendrier, même flou.
Pour ce qui est des groupes, la réponse est claire. Cependant, Joseph Shaw, président de la Latin Mass Society et de la Fédération internationale Una Voce, en fait une lecture assez optimiste (il suggère également que la lettre de Roche ouvre la voie à une certaine bienveillance à l’égard des catholiques attachés à la messe traditionnelle). Ainsi, pense-t-il, comme Traditionis custodes s’applique aux « groupes » et non aux individus, cela laisserait une certaine latitude aux prêtres ayant l’autorisation de leur évêque de dire la messe traditionnelle en vue d’ouvrir ces célébrations au tout-venant. Et d’inviter les fidèles de ne pas s’arrêter aux aspects très négatifs présents dans la réponse de Roche. Je ne suis pas convaincue…
De fait, la réponse f. sur l’indult de 1971 (dit Agatha Christie, et dont la Latin Mass Society possède tous les documents) suggère que la réalité ou non de l’existence de cet indult est aujourd’hui sans objet, puisque Traditionis custodes le balaierait avec le reste.
De même, lorsque Roche dit que l’usage de la liturgie « antérieure » a été régulé et non supprimé, c’est pour ce lancer aussitôt dans une nouvelle diatribe contre les « fausses interprétations » des concessions antérieures qui ont abouti à la croissance de la liturgie traditionnelle. Soit « une liturgie qui diverge de la réforme conciliaire (et qui a été, en fait, abrogée par le pape saint Paul VI), et une ecclésiologie qui ne fait pas partie du Magistère de l’Eglise. »
La messe de saint Pie V « abrogée » par Paul VI ? Benoît XVI a affirmé l’exact contraire dans Summorum pontificum. Jean Madiran parlait de « messe interdite », ce qu’un évêque français a contesté devant moi au cours d’une conversation privée, affirmant qu’aucun texte n’avait jamais « interdit » la messe traditionnelle. Dire qu’elle a été « abrogée », et par un pape, va encore plus loin. On peut lire à ce sujet les commentaires de l’abbé Gleize sur La Porte latine.
Ces dernières remarques de Mgr Roche indiquent en tout cas que la messe traditionnelle est à ses yeux « abrogée » et que sa promotion correspond à une « ecclésiologie qui ne fait pas partie du Magistère de l’Eglise ». Autrement dit, la réforme liturgique correspond bien à une ecclésiologie précise, qui contredit donc forcément l’ancienne. Je ne sais si Roche perçoit la portée de cette affirmation… J.S.
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Traduction de la lettre du 4 août dernierde Mgr Arthur Roche au Cardinal Vincent Nichols
Eminence,
Je vous remercie de votre lettre du 28 juillet 2021, ainsi que d’avoir posé vos questions relatives à Traditionis custodes à la Congrégation. La Congrégation étudie actuellement elle-même avec soin les implications du Motu et n’a pas émis de directives pour le moment. Cependant, afin de prêter assistance à Votre Eminence je vous adresse volontiers une réponse initiale, pour partager avec vous la compréhension que nous avons actuellement des questions que vous soulevez. Cette réponse est donc de nature personnelle.
Il est clair que le principal commentaire de la nouvelle loi qui gouverne la possibilité d’accorder d’utilisation de textes liturgiques antérieurs, par voie de concession exceptionnelle, et non par voie de promotion, est constitué par la lettre du pape François aux évêques. Il est également évident que ces concessions exceptionnelles ne doivent être accordées qu’à ceux qui acceptent la validité et la légitimité de la réforme liturgique du Concile Vatican II et du magistère des souverains pontifes. Tout le contenu de la nouvelle loi est orienté vers le retour et la stabilisation de la liturgie telle que décrétée par le Concile Vatican II.
Pour répondre aux points spécifiques que vous soulevez :
a. La Congrégation pour la Doctrine de la foi était précédemment le seul dicastère du Saint-Siège ayant compétence en ces matières. Ce mandat a désormais été transféré dans sa totalité à la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements et à celle pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique. Elles seules exercent désormais cette compétence au sein de leur domaines propres.
b. Il apparaît clairement à la Congrégation que la nouvelle loi abroge ce qui avait été précédemment accordé en tant que concession exceptionnelle et limitée. La prudence pastorale cependant autorise à déterminer [limiter ? NdT], mais seulement pour un temps très limité, et ce en vue d’une communion ecclésiale accrue, la mise en œuvre intégrale du Motu proprio, mais cela exigerait une surveillance attentive et des directives claires en vue de celle-ci. Traditionis custodes parle seulement de l’utilisation du Missale romanum de 1962 et des célébrations eucharistiques. Il y a eu un nombre considérable de fausses interprétations des dispositions antérieures avec une pratique, des développements et une promotion accrus, qui n’a pas peu encouragé une croissance qui n’avait été ni prévue ni sanctionnée par les pontifes précédents. Une minimisation antérieure du rôle du l’ordinaire local selon le Concile Vatican II en tant que modérateur, promoteur et gardien de la liturgie s’est révélée peu utile en cette matière, et c’est la raison pour laquelle le Saint-Père insiste désormais sur l’importance du rôle de l’évêque dans l’application pleine et entière de la nouvelle loi.
c. Le Calendarium du Missale Romanum de 1962 diverge de celui du Calendarium Romanum Generale du Missale Romanum de 1970, décrété par le Concile et qui gouverne l’unique expression du rite romain. Cependant, les lois concernant les fêtes obligatoires du Code de Droit canonique de 1983 sont postérieures à ces deux calendriers. La Conférence épiscopale, par conséquent, aurait besoin de considérer ces matières de manière très attentive avant d’approcher cette Congrégation en vue d’un ajustement conforme au canon 1246-1248. De telles délibérations et décisions par une conférence épiscopale devraient également prendre en compte la manière dont cela s’appliquerait également à d’autres usages liturgiques au sein du même territoire ecclésiastique.
d. Les textes de l’Ecriture sainte à utiliser pour les lectures du Missel de 1962 doivent être conformes à la même version de l’Ecriture dont l’usage est approuvé par la Conférence épiscopale pour son Ordo Lectionem Missae. Cela s’applique très certainement également aux autres usages liturgiques au sein du même territoire ecclésiastique.
e. Le terme « groupes » s’applique aux paroisses personnelles qui ont été précédemment érigées en vue de l’usage concessionnaire de la liturgie antérieure, ainsi qu’au rassemblement de personnes qui se sont régulièrement retrouvées en vue de la célébration de l’Eucharistie en utilisant le Missale Romanum de 1962. En même temps, le Motu proprio demande aux évêques de ne pas établir de nouveaux groupes.
f. Pour ce qui est de l’indult accordé au cardinal Heenan en novembre 1971, que vous évoquez dans votre lettre, nous avons fait des recherches dans nos archives et n’avons rien trouvé qui y corresponde. Il existe, néanmoins, une correspondance du cardinal et de Monseigneur Wheeler concernant les rites funéraires réformés datée d’octobre 1971, mais il n’y a aucune trace d’un indult ou de quelque correspondance s’y référant dans ce dossier. Si Votre Eminence vu cet indult je vous serais reconnaissant de le partager ainsi que toute correspondance s’y référant avec cette congrégation. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de prendre note de Traditionis custodes n° 8, qui abroge toutes les normes, instructions, permissions et coutumes antérieures qui ne sont pas en conformité avec la loi présente. Un indult antérieur tomberait certainement sous le coup de cette prescription.
Clairement, il s’agit d’un moment qui exige des pasteurs une délicatesse de soin and de direction à l’égard de ceux qui sont les plus affectés par les lois désormais en vigueur. L’usage des textes liturgiques antérieurs a été régulé et non supprimé. La fausse interprétation et la promotion de l’usage de ces textes, à la suite de concessions purement limitées accordées par des pontifes antérieurs, a été utilisée en vue d’encourager une liturgie qui diverge de la réforme conciliaire (et qui a été, en fait, abrogée par le pape saint Paul VI), et une ecclésiologie qui ne fait pas partie du Magistère de l’Eglise.
La correspondance en copie de la Latin Mass Society, que vous avez jointe à votre lettre, est un bon exemple de cette interprétation relâchée et de la promotion de ces liturgies sous couvert d’une législation permissible [permissive ? NdT]. Il faut qu’il leur soit très clairement signifié que les évêques seuls, en communion avec le Pape, sont les modérateurs de la liturgie et que la manière dont la LMS comprend Traditionis custodes, telle qu’elle la propose, n’a strictement aucun statut et ne doit pas être publiée comme un commentaire faisant autorité.
J’espère que ces remarques vous seront de quelque utilité à cette heure alors que vous réfléchissez à vos réponses. En attendant, soyez assuré de notre disponibilité pour vous apporter assistance et soutien.
Fraternellement vôtre dans le Seigneur
Arthur Roche, préfetVittorio Francesco Viola, OFM, secrétaire