Et que personne n’invente de nouveaux péchés
15 septembre 2024, Notre Dame de Sept Douleurs
En réponse aux questions des lecteurs concernant les propos de François qui considère que vouloir arrêter l’immigration serait un péché grave, nous proposons la lecture de deux contributions synthétisant la doctrine de saint Thomas d’Aquin sur le sujet. Au-delà du facteur théologique, nous sommes aujourd’hui confrontés à la capitulation la plus éhontée face à une pensée mondialiste et politiquement correcte. A cette capitulation s’ajoute le scandale d’inventer de nouveaux péchés, alors que l’occultation des péchés de toujours a été favorisée par des textes comme Fiducia Supplicans.
Disputationes Theologicae
1 Immigration et ordre dans la charité
L’ “accueil” désordonné des migrants est la négation de l’amour de Dieu
21 décembre 2016, Saint Thomas Apôtre
Raphaël, Saint Léon le Grand, avec Saints Pierre et Paul, arrête les Huns
“L’obligation d’accueillir” l’étranger à n’importe quel prix même contre le bien commun. Voilà le nouveau dogme, non révélé par Dieu, mais propagé presque sans distinction par tous les centrales du pouvoir maçonnique. Il est évident qu’un cœur chrétien, s’il le peut, prête secours à celui qui se trouve en grave difficulté, mais la “religion de l’homme” – qui semble désormais avoir conquis la presque totalité des bastions catholiques – impose celui de l’accueil comme un “impératif catégorique” auquel on ne peut qu’“obéir”. Il n’est presque pas licite de réfléchir aux circonstances et à l’opportunité de certaines actions présentées officiellement comme charitables, et cela sous peine d’“excommunication médiatique”. Nolite cogitare.
Le désarroi en plus est alimenté par les déclarations de certaines autorités ecclésiastiques qui souvent propagent la confusion, en prêchant comme doctrine catholique des concepts qui semblent plutôt l’aboutissement du pire mondialisme que la doctrine de Jésus-Christ.
Le genre de l’immigration actuelle soulève certes plusieurs questions qui portent sur différents sujets, à commencer par un discernement sérieux concernant la nature de ces flux jusqu’au devoir d’aide envers nos frères, in primis les chrétiens d’Orient. La question de la nécessité pour certaines réalités précises, d’un possible soutien in loco, même militaire, se pose ainsi que celle de l’évaluation sérieuse de la présence parmi les immigrés de plusieurs loups déguisés en agneaux.
L’importance fondamentale de la notion de “souveraineté” face à ce qui semble être une vraie et propre “immigration de substitution” ne doit pas non plus être oubliée.
Ces interrogations suscitent plusieurs perspectives d’analyse. On peut traiter la question sous l’angle de l’invasion masquée (plus ou moins islamiste et plus ou moins violente). Cette perspective impose une analyse sur la licéité du recours à la force pour repousser la violence et implique même la question de la guerre juste. Une autre perspective conduit à considérer que la question ne doit être envisagée que sous l’angle de ce qu’on appelle aujourd’hui avec emphase “accueil” et que l’on voudrait être une émanation de la charité chrétienne.
Nous concentrerons l’attention de cet article sur ce dernier point, sans exclure de traiter du juste recours à la force dans une prochaine intervention. En effet, il paraît urgent de faire d’abord la clarté sur un point parmi les plus exposés à la contrefaçon : l’exercice (ordonné) de la charité chrétienne.
Après une brève suggestion de bon sens aux gouvernants, tirée de la réflexion scholastique, nous parcourrons rapidement certaines indications sur l’exercice de la charité ordonnée données par Saint Thomas d’Aquin dans la Summa Theologiae, particulièrement dans la question 26 de la Secunda Secundae, pour chercher à en tirer quelques conclusions, même d’ordre pratique. Quel est en effet l’exercice de la vraie charité en matière d’immigration ?
La présence d’étrangers dans la patrie, une simple réflexion à la suite d’Aristote
Avant d’entrer dans le domaine de la vertu surnaturelle et particulièrement de la charité ordonnée il est utile de rappeler un bref passage du De Regno, qui a le mérite d’éclaircir en peu de lignes la problématique au point de vue naturel. Au XIIIème siècle, la question des étrangers, quoique non différente dans la substance, se posait sous une autre forme et Saint Thomas dans l’opuscule cité, en conseillant les gouvernants, donne des indications au Roi sur la façon de se comporter par rapport à la “présence d’étrangers”, personnifiés principalement à l’époque par les commerçants. La question de fond étant de savoir si la multitude d’étrangers est un bien ou un mal pour la Civitas[i].
La réponse de l’auteur se fonde, en suivant Aristote, sur la nécessaire unité du corps social, à l’imitation du corps physique. On déconseille donc vivement aux gouvernants de favoriser une présence de marchands étrangers dans la ville pour un motif très simple : leurs usages différents, quoique légitimes dans leur patrie, déstabilisent la société. Ils compromettent l’unité de la Civitas, qui fonde sa propre unité et son propre bien-être spirituel et temporel sur un patrimoine commun. Les étrangers ne partagent pas cet ensemble de traditions “identitaires” qui sont le ciment de l’état et qui contribuent à donner une direction claire et partagée par tous vers le bien commun que tous recherchent. Le citoyen de longue tradition partage avec ses concitoyens ce mode particulier de connaître et d’aimer sa propre Civitas, et cela s’accomplit non pas d’une façon artificielle, par des “projets d’intégration” autant cérébraux qu’utopiques, mais d’une façon tellement naturelle que ce patrimoine commun ne nécessite aucune explication, tant il est enraciné dans les cœurs.
Cela ne signifie pas que pour des raisons par exemple commerciales un étranger ne puisse pas traverser la ville ou même y demeurer longtemps, jusqu’à en devenir un membre vital. Et même, sa présence peut dans une certaine mesure constituer un bien objectif et appréciable pour la Civitas, que l’on pense aux Maîtres de Côme du Moyen-Age qui coupaient si bien la pierre qu’ils ont rempli l’Italie de chefs d’œuvre, en formant partout où ils allaient des petites communautés lombardes, qui par la suite se sont amalgamées au tissu préexistant. Mais le nombre doit être contenu, parce que le bien de la société entière est supérieur au bien d’un seul ou d’un groupe de citoyens ou d’un seul ou plusieurs étrangers.
En effet, le vrai bien de chacun s’articule avec le vrai bien commun et jamais il ne peut être en opposition avec ce dernier. En suivant l’analogie entre le bien du corps humain et le bien du corps social, il est clair que le maintien en santé de la personne entière est supérieur au bien d’un seul membre. Dans certains cas il peut donc être nécessaire d’amputer, à plus forte raison dans le cas d’un élément étranger qui n’est pas encore organiquement uni à la personne. En effet, l’étranger n’est pas encore membre du corps social, et ne le devient que suite à un long processus nécessitant entre autres l’acceptation des conditions posées par la Civitas qui choisit de l’accueillir ou pas. Donc son bien est toujours soumis et doit toujours s’articuler au bien de toute la ville. Sinon, tout comme il est licite de couper du corps social l’élément nuisible, à plus forte raison est licite le refus d’un corps étranger qui altérerait la paix et l’ordre social.
Du point de vue du bien commun naturel, la nécessité de se prémunir contre l’arrivée excessive d’étrangers est un devoir du Prince et cela en raison de la nature même de l’homme. A cette considération il faut ajouter que ratione peccati, c’est-à-dire en considérant la nature humaine en tant que blessée par le péché originel, une telle nécessité se fait encore plus pressante. Et cela – même en voulant rester au point de vue strictement naturel – est particulièrement important lorsqu’on parle d’immigration d’étrangers de religion musulmane, compte tenu du caractère violemment agressif du Coran qui en est le fondement.
En mettant de côté les délires des idéologues multiethniques et multiraciaux et de ceux qui les suivent, on reconnaît généralement un certain fondement à ce qui a été exposé jusqu’à présent. Cependant, dans le milieu catholique surgit souvent l’objection – non dépourvue d’une bonne dose d’hypocrisie – que si un tel discours peut paraître raisonnable à l’intelligence dans l’ordre naturel, il n’est cependant pas admissible après l’avènement de la charité chrétienne, laquelle accepte tout, pardonne tout et…accueille tout.
Mais dans la charité aussi (et surtout) il y a un ordre établi par Dieu, Créateur et Législateur
Saint Thomas d’Aquin en parlant de la charité souligne qu’il est absolument nécessaire d’évaluer quel est l’ordre dans la charité[ii]. Dois-je aimer plus Dieu ou le prochain ? Dois-je aimer plus le prochain ou mon corps ? Dois-je aimer un proche plus qu’un autre ou tous de manière identique ? Dois-je aimer celui qui m’est plus proche (“prochain” veut dire proche…) ou dois-je aimer aussi les plus lointains d’une manière égale et identique ? Dois-je aimer davantage la paix (religieuse aussi) dans ma patrie ou dois-je accueillir n’importe quel étranger qui la menace au nom de la charité ?
Là où il y a une multiplicité, comme dans ce cas il y a une multiplicité d’objets à aimer, il faut un ordre et un ordre se fait par rapport à un principe. Par exemple, un ensemble de fruits peut être ordonné selon différents principes, selon la couleur, selon le poids, selon le parfum ; pour faire de l’ordre et savoir ce qu’il faut mettre avant et mettre après il faut un principe. Mais quel est dans la charité ce “point ferme” qui nous permet de mettre de l’ordre ? « L’amour de la charité tend vers Dieu en tant qu’il est source de béatitude[…]. Et donc il est nécessaire que dans les choses qui sont aimées par la charité on s’en tienne à un certain ordre, en relation au principe premier d’un tel amour, qui est Dieu »[iii].
La charité et son exercice s’ordonnent donc seulement par rapport à Dieu et non pas par rapport aux principes d’un anthropocentrisme mielleux.
Malheureusement aujourd’hui, une pensée non catholique a avancé partout, au point que pour l’homme moderne – qui marche au pas avec l’ecclésiastique moderniste – il faut aimer le prochain sans établir un ordre quelconque et cela parfois même…contre Dieu ou plus que Dieu. Ou sinon, lorsque le panthéisme a atteint des niveaux pathologiques, on arrive presque à l’affirmation explicite qui identifie le prochain avec Dieu presque métaphysiquement. A partir de là, aucun raisonnement – et aucun ordre dans la charité – n’est plus possible. Des phrases fréquentes comme par exemple « le pauvre est Dieu », quoique prononcées avec une intention rhétorique, alimentent – de façon non intentionnelle on voudrait l’espérer – une telle confusion. Car s’il est vrai que dans le visage du pauvre je dois voir l’empreinte de Dieu Créateur et l’action de Dieu Rédempteur, il est aussi vrai qu’une créature ne pourra jamais s’identifier avec le Créateur et l’amour qu’il faut porter à n’importe quelle créature ne sera jamais aussi inconditionné que l’amour qu’il faut porter à Dieu.
L’objet de l’acte de charité regarde donc principalement Dieu, secondairement les créatures, dans la mesure selon laquelle elles se réfèrent à Dieu. Cet ordre de la charité que nous recherchons donc – dit l’Angélique[iv] – se trouve dans les choses elles-mêmes, dans leur être par rapport à Dieu. C’est un ordre objectif. Le prochain ne doit pas être aimé inconditionnellement comme s’il était Dieu, la bonté du prochain n’est pas absolue, mais elle est « participative », elle participe de la bonté divine et d’une façon différente selon les cas. Il peut donc y avoir un “plus” et un “moins” dans l’échelle, parce que la mesure est donnée par la majeure ou mineure proximité à Dieu de la chose à aimer.
Il y a en effet un prochain à haïr par amour de Dieu, dit Notre Seigneur. « Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère et sa femme et ses enfants et ses frères et ses sœurs et aussi sa propre vie il ne peut pas être mon disciple » (Lc 14, 26). De telles paroles ne sont pas dures si on a compris l’ordre dans la charité. Saint Thomas dit « L’amitié de la charité se fonde sur la communication de la béatitude qui consiste essentiellement en Dieu comme dans son premier principe, d’où elle découle sur tous les êtres qui sont capables de béatitude » et il continue « donc c’est Dieu qu’il faut aimer principalement et par-dessus tout en charité […] le prochain en tant qu’il participe avec nous de cette béatitude qui vient de Lui »[v]. Donc lorsque Jésus-Christ nous dit « Si quelqu’un ne hait pas son père et sa mère… » il est en train de nous expliquer que celui qui aime le prochain dans un ordre qui n’est pas celui voulu par Dieu n’est pas son disciple et qu’il sera aussi nécessaire de “haïr” son propre frère dans la mesure où celui-ci éloigne Dieu de nous, de lui-même et des autres. Si une personne m’empêche d’aimer Dieu ou empêche la diffusion de l’amour de Dieu sur la société, je dois haïr cet aspect chez l’autre. Cet aspect est à combattre chez lui, doit au moins être mis en mesure de ne pas nuire au bien voulu par Dieu, tout en continuant par exemple à prier et à agir pour la conversion de ce frère. Ce frère est “haï” dans la mesure où il est lointain et nous éloigne de Dieu, mais est aimé dans la mesure où rien n’est perdu et où il peut encore s’approcher de Dieu, comme dirait Saint Thomas « en tant qu’il est encore capable de béatitude ». Et cette « capacité de béatitude » fait loi dans l’ordre selon la charité qui se fonde sur la mineure ou majeure participation à l’amour de Dieu. L’ordre n’est pas sentimentalo-passionnel, selon qui je croise – ou pire selon ce que la télévision veut nous faire voir sur l’écran – mais il est objectif. Saint Thomas dit « il ne faut pas aimer davantage celui qui est plus facile à voir, mais celui qui se présente à nous comme à aimer » [vi]. C’est-à-dire que, en suivant Saint Thomas, de la même façon que je dois aimer davantage Dieu, même s’il n’est pas visible, plutôt qu’une personne que je croise dans la rue et qui est très lointaine de Dieu, ainsi je dois aimer davantage une personne par rapport à une autre parce que je sais qu’elle est plus proche de Dieu.
Lorsque nous écoutons – et d’ailleurs avec une fréquence excessive – sur la bouche d’éminents ecclésiastiques, des phrases comme celle-ci : « Est ce que j’aime vraiment mon prochain, est ce que j’aime vraiment l’immigré, même s’il est musulman ? » La réponse du chrétien qui a la vraie charité et qui connaît la doctrine est : « Oui, mais je l’aime par amour de Dieu et donc selon l’ordre voulu par Dieu ». Ce qui signifie que j’ordonne mon exercice de la charité envers lui selon l’amour de Dieu. Et je dois aller jusqu’au point de vouloir pour lui tout le bien possible, jusqu’au bien suprême de sa conversion à la vraie foi, pour qu’il ne brûle pas éternellement en enfer et pour qu’il participe en acte (et non pas seulement en puissance) de cette béatitude qui est – comme on l’a vu plus haut – le fondement de l’ordre de la charité. En effet, dans le véritable ordre de la charité je n’aime pas mon prochain seulement parce qu’il est mon semblable ou parce que j’ai une sympathie pour les gens de couleur plutôt que pour les blancs, mais ce qui rend le prochain digne d’être aimé plus qu’un autre est sa similitude avec Dieu[vii]. En charité, je peux – et je dois – aimer davantage un riche authentiquement vertueux plutôt qu’un pauvre plein de malice, ainsi que m’est davantage “prochain” un baptisé aisé plutôt qu’un immigré musulman pauvre. Il y a un ordre objectif à observer dans l’amour surnaturel qui cependant n’exclut pas, suivant les circonstances et s’il s’agit du bien objectif, la possibilité d’aider matériellement même ce pauvre-là quoique éloigné de Dieu. Donne à manger aux affamés, donne à boire aux assoiffés, certes, mais selon un critère objectif, et non pas médiatico-émotionnel et dicté par les centrales du mondialisme maçonnique qui créent d’abord la misère des peuples et ensuite la font “soulager” aux autres.
L’accueil sans discrimination ne témoigne pas l’amour de Dieu, mais l’amour désordonné pour certaines réalités terrestres
Nous ajoutons que le désordre dans l’accueil des peuples, dans l’encouragement à leurs déplacements désordonnés, dans l’altération de la vie pacifique de certaines nations, dont certaines de tradition chrétienne, n’est pas un signe de charité. Au contraire, c’est peut-être justement un des signes que l’on ne marche pas dans l’amour de Dieu.
Saint Thomas explique que l’amour naturel se fonde sur la communication des biens naturels, et par un tel amour non seulement on aime Dieu plus que soi-même, mais on aime chaque créature selon ce qu’elle est, selon la place que Dieu lui a assignée. Un tel amour parvient à chaque créature, jusqu’aux pierres elles-mêmes, parce que c’est un amour qui aime l’ensemble de la Création selon l’ordre voulu par Dieu, et un tel amour privilégie le bien de l’ensemble à son propre bien particulier. Et cela vaut encore plus dans l’amour de charité, selon lequel l’homme doit aimer davantage Dieu, qui est le bien commun de toute chose, plutôt que lui-même[viii].
En suivant donc le raisonnement de l’Aquinate on aime chaque créature – jusqu’aux pierres – dans l’ordre voulu par Dieu et donc on aime les peuples sur leurs terres et avec leurs caractéristiques et leurs bonnes traditions, dans l’ordre que Dieu a donné en les distinguant. Si on a compris le discours, pour qu’il s’agisse d’un vrai amour, la partie doit aimer d’abord le tout dans la disposition des parties et donc chercher son propre bien dans la mesure où un tel bien s’intègre dans le tout, dans la mesure où le bien de la partie concourt au bien du tout. C’est la partie qui doit se “conformer” au bien commun lorsqu’elle détermine son propre bien et ce n’est pas le bien commun qui doit être “remodelé” en fonction de la partie[ix].
Par exemple, en ce qui concerne notre sujet, l’immigré qui arrive et demande accueil ne peut pas être vu seulement dans un rapport de bien du sujet particulier dans le besoin, ou dans une vision personnaliste de la relation entre moi qui accueille et lui qui me demande hospitalité. Mais l’opportunité de l’ “accueil” est à évaluer selon une vision de bien commun et surtout de bien commun surnaturel. Les questions de foi sont donc fondamentales parce que – s’il s’agit de vraie charité – le premier bien à évaluer sera celui de la foi, du bien commun de la foi d’un peuple et du monde entier. Donc l’appartenance à une religion sera un critère important à évaluer dans la perspective de la “charité de l’accueil”. Justement parce que le bien commun surnaturel, que la (vraie) charité a le devoir de sauvegarder, est en jeu.
Non seulement donc la prudence naturelle et surnaturelle doit pousser les gouvernants à limiter l’accès de celui qui attaque ou affaiblit le bien de la foi, mais dans une vraie perspective de bien commun surnaturel il pourrait être aussi nécessaire, dans certaines circonstances, de refuser complètement l’accès de certains étrangers. On pourrait même ajouter qu’il faudrait évaluer attentivement l’opportunité d’accueillir des hommes chrétiens en bonne santé qui fuient, surtout s’ils sont en train de fuir une guerre, alors qu’ils auraient au contraire le devoir de combattre pour le bien commun de leur patrie ou de la foi. Si c’est le bien commun de la foi et de la charité que nous cherchons – tout en pouvant accueillir temporairement des femmes et des enfants – nous devrions aussi, dans certains cas, stimuler les hommes chrétiens en bonne santé et aptes aux armes à rester dans les terres chrétiennes pour les défendre et pour éviter le rétrécissement des confins de la Chrétienté (ou de ce qu’il en reste). C’est cela aussi la charité, et de courageux Évêques syriens l’ont affirmé récemment à haute voix.
Quant aux musulmans, même en voulant admettre sans le concéder, qu’il s’agisse d’une immigration de nécessité, et non pas un processus maçonnique de substitution des peuples, il est plus que licite de freiner les arrivées, parce qu’en tant que disciples du Coran il est raisonnable de présumer qu’ils en veulent l’application, sous peine de ne plus être musulmans. Il est impossible de ne pas comprendre comment leur arrivée massive pourrait ne pas nuire gravement au bien surnaturel de la foi et de l’Église elle-même, à plus forte raison si on renonce – par absence de charité – même à essayer de les convertir à la vraie foi. On ne comprend pas non plus comment un prélat catholique – qui devrait bien savoir ce qu’est la charité – pourrait prêcher l’accueil des migrants à tout prix tout en se refusant à faire une quelconque distinction, presque comme s’il s’agissait d’un dogme révélé. Et cela est encore plus incompréhensible car il n’est pas nécessaire d’avoir la foi et la charité pour saisir combien l’immigration islamique est dangereuse. Le Cardinal Biffi, s’adressant aux gouvernants laïcs disait à ce propos : « Cela ne revient pas aux hommes d’Église, mais plutôt aux états occidentaux modernes de bien regarder le pour et le contre à ce sujet »[x]. Il en résulte qu’un homme d’Église a donc à double titre le devoir d’inciter les gouvernants à limiter l’immigration islamique : en raison de la loi naturelle et en raison de la vraie charité du Christ.
Don Stefano Carusi
[i] Saint Thomas d’Aquin, De Regno, lib. 2, cap. 3: “Nam civitas quae ad sui sustentationem mercationum multitudine indiget, necesse est ut continuum extraneorum convictum patiatur. Extraneorum autem conversatio corrumpit plurimum civium mores, secundum Aristotelis doctrinam in sua politica, quia necesse est evenire ut homines extranei aliis legibus et consuetudinibus enutriti, in multis aliter agant quam sint civium mores, et sic, dum cives exemplo ad agenda similia provocantur, civilis conversatio perturbatur. Rursus: si cives ipsi mercationibus fuerint dediti, pandetur pluribus vitiis aditus”.
[ii] S. Thomas d’Aquin, S. Th., IIa IIae, q. 26, pr. “Deinde considerandum est de ordine caritatis. Et circa hoc quaeruntur tredecim”.
[iii] Ibidem, a. 1, c. : “Respondeo dicendum quod, sicut philosophus dicit, in V Metaphys., prius et posterius dicitur secundum relationem ad aliquod principium. Ordo autem includit in se aliquem modum prioris et posterioris. Unde oportet quod ubicumque est aliquod principium, sit etiam aliquis ordo. Dictum autem est supra quod dilectio caritatis tendit in Deum sicut in principium beatitudinis, in cuius communicatione amicitia caritatis fundatur. Et ideo oportet quod in his quae ex caritate diliguntur attendatur aliquis ordo, secundum relationem ad primum principium huius dilectionis, quod est Deus”.
[iv] S. Thomas d’Aquin, S. Th., q. 26, a. 1, ad 2. Cfr. anche q. 26, a. 2, ad 3: “Sed tamen non aequaliter habet proximus bonitatem Dei sicut habet ipsam Deus, nam Deus habet ipsam essentialiter, proximus autem participative”.
[v] Ibidem, q. 26, a. 2, c: “Amicitia autem caritatis fundatur super communicatione beatitudinis, quae consistit essentialiter in Deo sicut in primo principio, a quo derivatur in omnes qui sunt beatitudinis capaces. Et ideo principaliter et maxime Deus est ex caritate diligendus, ipse enim diligitur sicut beatitudinis causa; proximus autem sicut beatitudinem simul nobiscum ab eo participans”.
[vi] Ibidem, q. 26, a. 2, ad 1: “non ergo oportet quod illud quod est magis visibile sit magis diligibile, sed quod prius occurrat nobis ad diligendum”.
[vii] Ibidem, q. 26, a.2, ad 2 : “Ad secundum dicendum quod similitudo quam habemus ad Deum est prior et causa similitudinis quam habemus ad proximum, ex hoc enim quod participamus a Deo id quod ab ipso etiam proximus habet similes proximo efficimur”.
[viii] Ibidem, q. 26, a.3, c. : “Unde multo magis hoc verificatur in amicitia caritatis, quae fundatur super communicatione donorum gratiae. Et ideo ex caritate magis homo debet diligere Deum, qui est bonum commune omnium, quam seipsum, quia beatitudo est in Deo sicut in communi et fontali omnium principio qui beatitudinem partecipare possunt”.
[ix] Ibidem, q. 26, a.3, ad 2.
[x] G. Biffi, Intervento dell’arcivescovo di Bologna al Seminario della Fondazione Migrantes, 30 septembre 2000 (http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/7283) : «Non sono dunque gli uomini di Chiesa, ma gli stati occidentali moderni a dover far bene i loro conti a questo riguardo».
2 Est-il immoral d’aider les étrangers plus que ses compatriotes?
Saint Thomas d’Aquin sur le devoir d’aider ceux qui nous sont proches
30 avril 2017, Sainte Catherine de Sienne
Sainte Elisabeth de Hongrie aide ses compatriotes
Dans l’article publié ces derniers mois (Immigration et ordre dans la charité, l’“accueil” désordonnédes migrants est la négation de l’amour de Dieu) nous avons abordé la question de l’ordre dans l’exercice de la charité, nous référant particulièrement au problème de l’immigration, y compris de l’immigration islamique, surtout par rapport au bien commun de la société naturelle et surnaturelle. Cet article, en étroite relation avec le précèdent, dont il est un développement, veut offrir des commentaires des passages de Saint Thomas qui décrivent l’exercice de la charité surtout par rapport au problème de savoir s’il est juste ou non de s’occuper d’abord de ses propres compatriotes plutôt que des étrangers. Y a-t-il matière à pécher et même à pécher de manière grave lorsqu’un étranger est traité de la même manière qu’un membre de notre famille, de notre nation ou même qu’un compagnon d’armes ? Nous verrons la réponse de Saint Thomas d’Aquin en restant dans le sillage de la question 26 de la Secunda Secundae de la Summa Theologiae.
Saint Thomas aborde le problème par un argument tiré de Saint Augustin et qui contient déjà in nuce la réponse qu’il développera par la suite. En effet, d’un côté il semblerait qu’il faille aider tous les hommes de manière égale, mais d’un autre côté, il n’est pas possible d’aider tout le monde et il faut tenir compte du fait que nous sommes unis à certains par des circonstances de temps et de lieu, ou pour d’autres motifs, presque comme si “le sort” nous les avait confiés, dit l’Evêque d’Hippone[1].
D’un côté en effet, il est vrai que la raison d’un tel amour envers les hommes étant Dieu, elle a une égale nature pour tous et il est aussi vrai que le bien que nous désirons pour chaque homme est le bien suprême de la vie éternelle dont la nature est la même pour tous. Mais il n’en découle pas le devoir pour chacun d’entre nous d’aimer également tout le monde, parce que l’exercice de la charité est à ordonner aussi en relation à la situation spécifique et concrète de chacun. Nous devons donc avoir envers tous sans distinction, l’amour que Saint Thomas appelle “amour de bienveillance”, qui, littéralement veut dire vouloir le bien pour tous les hommes. Cependant ne pouvant pas faire du bien à tous, nous devrons être inégaux dans l’ “amour de bienfaisance” (mot à prendre dans le sens le plus large du terme bene facere)[2]. C’est-à-dire que, sans exclure positivement personne de notre amour de bienveillance, selon lequel nous désirons pour chacun le bien suprême et éternel, nous devons aimer de manière différenciée le prochain quant à la bienfaisance. Cet amour de bienfaisance aura une intensité différente selon que le prochain sera plus ou moins lié à nous selon diverses circonstances.
Saint Thomas dit donc avec clarté que pèche bien plus gravement celui qui refuse son amour à une personne qui lui est objectivement plus proche et qu’il devrait aimer que celui qui refuse son amour à une personne lointaine. Et pour appuyer et expliquer une telle assertion il cite les paroles du Lévitique : “quiconque maudira son père et sa mère qu’il soit mis à mort”[3]. Peine de mort qui n’est pas prévue pour celui qui maudit un autre que son père et sa mère. Il est bien plus grave pour un fils d’éprouver de la haine pour ses propres parents, que d’éprouver de la haine pour une personne quelconque. Il s’en suit évidemment que nous devons aimer d’avantage certains de nos proches plutôt que d’autres, en raison du lien objectif et inégal qui nous unit à eux, lien qui ne peut pas être établi ni par notre choix ni par l’égalitarisme à la mode.
Saint Thomas spécifie donc que, s’il est vrai que par rapport à la nature du bien surnaturel que nous voulons pour tous il n’y a pas de différence, pour tous en effet nous devons vouloir la béatitude éternelle, il est aussi vrai qu’il y a une intensité différente dans l’amour de charité et dans la bienfaisance que nous devons prodiguer au prochain, cette différente intensité nait de la plus ou moins grande proximité de la personne à aimer. Saint Paul dit que si quelqu’un ne prend pas soin des personnes de sa propre famille il est pire que l’infidèle (1 Tim 5,8). La dilection interne de la charité, avec ce qu’elle comporte d’extérieur, doit s’exercer d’abord envers celui qui nous est plus proche[4]. Chacun de nous doit “proportionner” l’amour de charité à ce qu’il est, à la situation dans laquelle la Providence l’a mis, à la famille dans laquelle Dieu l’a fait naître, à la patrie dans laquelle il a grandi. D’où le devoir primaire d’aimer de charité plus intense ceux qui nous sont plus proches; si à tous nous devons l’amour de charité de manière indistincte, à certains, en raison d’un autre amour d’amitié (au sens le plus large du terme) qui nous lie à eux, nous devons un amour de charité plus grand[5]. Et c’est ainsi que l’ordre même de la charité nous “commande” d’aimer davantage d’abord nos consanguins, ensuite ceux auxquels nous sommes liés pour d’autres raisons et Saint Thomas cite, tout de suite après les membres de la famille, les concitoyens[6].
On pourrait dire que sur les proches, sur les membres de la famille, sur les concitoyens nous avons d’une certaine façon un “mandat divin d’amour”, presqu’une responsabilité sur eux, qui nous vient de l’ordre voulu par Dieu Créateur, sur lequel l’ordre surnaturel se greffe.
“Nous devons avoir une plus grande charité pour ceux qui nous sont unis par le sang, soit parce que l’amour que nous leur portons est plus intense, soit parce que nous les aimons sous un plus grand nombre de rapports”[7], Saint Thomas est en train de nous expliquer que selon le type de lien qui nous unit nous sommes tenus à une dilection particulière et ordonnée envers certains avant d’autres. Par exemple, en ce qui regarde notre origine naturelle nous devons aimer principalement les consanguins, en ce qui regarde les relations sociales nous devons aimer principalement nos concitoyens et en ce qui regarde la guerre notre dilection doit aller d’abord vers nos compagnons d’armes[8]. Par exemple, dans la distribution des ressources familières, dit le Saint Docteur en commentant Saint Ambroise, un père est tenu de nourrir ses propres enfants naturels plutôt que d’éventuels fils spirituels[9]. C’est l’ordre des choses, que l’ordre surnaturel ne va pas bouleverser mais perfectionner. De façon analogue donc on doit dire du devoir des citoyens et des gouvernants, lesquels in primis doivent s’occuper des citoyens de leur propre Civitas avant de s’occuper de ceux des autres villes. Et un tel amour de charité doit s’adresser plus intensément aux concitoyens justement par rapport aux choses qui regardent la vie civile, dit Saint Thomas, c’est-à-dire que le soutien dérivant de l’intervention publique, par exemple, doit respecter cette plus grande intensité qui comporte inégalité d’amour et de traitement entre les compatriotes et les étrangers. Ainsi seulement l’intervention civique pourra être vraiment juste et surtout vraiment charitable.
A la lumière de l’enseignement de Saint Thomas d’Aquin, affirmer que les étrangers doivent être aimés et aidés de manière égale par rapport aux concitoyens ne paraît pas conforme à la doctrine catholique sur la charité. Elever à la dignité de principe le devoir de traiter de manière égalitaire, tant dans le milieu familial que dans celui de la Civitas, ses propres enfants comme les enfants des autres, ses propres concitoyens comme les étrangers, les fils de l’Eglise comme les infidèles musulmans, non seulement n’est pas conforme au droit naturel mais apparait aussi en contradiction avec la Divine Révélation et la Tradition catholique qui nous enseignent la charité ordonnée.
Don Stefano Carusi
P.S.: Saint Thomas offre une dernière considération dans la question 26 sur la charité, citée plus haut, à propos de la bienfaisance trop facile et du rapport entre bienfaiteur et bénéficiaire: “nous aimons d’avantage les choses que nous obtenons au prix d’un effort, celles par contre qui nous arrivent facilement, d’une certaine façon nous les méprisons”[10]. On pourrait en tirer un dernier avertissement indirect de l’Aquinate en matière de charité ordonnée: les aides excessives, complètement gratuites et de plus souvent souverainement injustes, parce que donnés en enlevant ce qui est dû à ses propres enfants ou à ses propres concitoyens au bénéfice de ceux qui sont loin ou des étrangers, parfois même ouvertement hostiles à la nation qui les accueille, peuvent engendrer aussi le mépris de celui qui reçoit les bénéfices et se retourner gravement contre les sociétés qui ont renié non seulement la justice, mais aussi l’ordre qui nous est offert par la foi et la charité.
[1] Saint Thomas d’Aquin, S. Th., IIa IIae, q. 26, a. 6, arg. 1: “Dicit enim Augustinus, in I de Doct. Christ., omnes homines aeque diligendi sunt. Sed cum omnibus prodesse non possis, his potissimum consulendum est qui pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus, constrictius tibi quasi quadam sorte iunguntur”.
[2] Ibidem, ad 1: “Ad primum ergo dicendum quod dilectio potest esse inaequalis dupliciter. Uno modo, ex parte eius boni quod amico optamus. Et quantum ad hoc, omnes homines aeque diligimus ex caritate, quia omnibus optamus bonum idem in genere, scilicet beatitudinem aeternam. Alio modo dicitur maior dilectio propter intensiorem actum dilectionis. Et sic non oportet omnes aeque diligere. Vel aliter dicendum quod dilectio inaequaliter potest ad aliquos haberi dupliciter. Uno modo, ex eo quod quidam diliguntur et alii non diliguntur. Et hanc inaequalitatem oportet servare in beneficentia, quia non possumus omnibus prodesse, sed in benevolentia dilectionis talis inaequalitas haberi non debet. Alia vero est inaequalitas dilectionis ex hoc quod quidam plus aliis diliguntur. Augustinus ergo non intendit hanc excludere inaequalitatem, sed primam, ut patet ex his quae de beneficentia dicit”.
[3] Ibidem, s.c.: “Sed contra est quod tanto unusquisque magis debet diligi, quanto gravius peccat qui contra eius dilectionem operatur. Sed gravius peccat qui agit contra dilectionem aliquorum proximorum quam qui agit contra dilectionem aliorum, unde Levit. XX praecipitur quod qui maledixerit patri aut matri, morte moriatur, quod non praecipitur de his qui alios homines maledicunt. Ergo quosdam proximorum magis debemus diligere quam alios”.
[4] Ibidem, a. 7, s.c.: “Sed contra est quod dicitur I ad Tim. V, si quis suorum, et maxime domesticorum curam non habet, fidem negavit et est infideli deterior. Sed interior caritatis affectio debet respondere exteriori effectui. Ergo caritas magis debet haberi ad propinquiores quam ad meliores”. Ibidem, corpus.
[5] Ibidem, corpus: “Sed intensio dilectionis est attendenda per comparationem ad ipsum hominem qui diligit. Et secundum hoc illos qui sunt sibi propinquiores intensiori affectu diligit homo ad illud bonum ad quod eos diligit, quam meliores ad maius bonum. Est etiam ibi et alia differentia attendenda. Nam aliqui proximi sunt propinqui nobis secundum naturalem originem, a qua discedere non possunt, quia secundum eam sunt id quod sunt”.
[6] Ibidem, corpus: “Et sic hoc ipsum quod est diligere aliquem quia consanguineus vel quia coniunctus est vel concivis, vel propter quodcumque huiusmodi aliud licitum ordinabile in finem caritatis, potest a caritate imperari. Et ita ex caritate eliciente cum imperante pluribus modis diligimus magis nobis coniunctos”.
[7] Ibidem, a. 8, corpus.
[8] Ibidem: “Sic igitur dicendum est quod amicitia consanguineorum fundatur in coniunctione naturalis originis; amicitia autem concivium in communicatione civili; et amicitia commilitantium in communicatione bellica. Et ideo in his quae pertinent ad naturam plus debemus diligere consanguineos; in his autem quae pertinent ad civilem conversationem plus debemus diligere concives; et in bellicis plus commilitones”.
[9] Ibidem, ad 2.
[10] Ibidem, a. 12, corpus.