le jeudi 14 octobre 2021
Pour ce qui est de la « cuisine » qui a présidé à la confection du Motu Proprio du 16 juillet 2021, je ne saurais mieux faire que de vous renvoyer à l’excellent article de Diane Montagna (« The Remmant » 7 octobre 2020) publié fort à propos sur le blog de Jeanne Smits le 10 octobre 2021. On y apprend, avec quelque stupeur, que les conclusions du Motu Proprio TC furent élaborées lors d’une réunion de cardinaux et d’experts de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) en Janvier 2021 alors que la consultation des évêques du monde entier devait partir en mai 2021 et fournir ses réponses en octobre… Quand donc le MPTC prétend appuyer ses décisions sur ladite enquête, il manque à la probité la plus élémentaire. C’est un peu comme un juge qui rédigerait la condamnation d’un prévenu avant toute instruction et plaidoiries…
Mais ce qui retiendra ici mon attention de prêtre et de professeur c’est l’argument majeur livré par TC pour abolir (à terme) la messe de la tradition catholique. Voici la problématique centrale.
Le pape s’appuie au départ sur du béton : le célèbre et incontestable adage « Lex orandi-lex credendi ». Cette formule géniale élaborée en premier lieu par Prosper d’Aquitaine, évêque de Limoges et secrétaire du pape Léon le Grand, sera reprise par nombre de papes dont le plus connu est saint Célestin 1er (422-432) auquel on en attribue donc faussement sa paternité. Que signifie cet adage ?
La loi (la règle) de la prière (orandi, gérondif au génitif : du prier) établit, est, détermine la loi, la règle de la Foi (credendi : du croire). Dans l’Eglise la règle de la prière est évidemment celle de la sainte liturgie et spécialement en son point culminant : l’Ordo Missae. Jusque-là tous sont d’accord, papes, saints, théologiens, fidèles de base.
L’affirmation centrale de TC en son Article 1 est celle-ci : « Les livres liturgiques promulgués par les Saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du Concile Vatican II, sont la seule (Unica) expression de la lex orandi du Rite Romain ».
Finie la subtilité acrobatique des deux formes d’un rite romain unique : il n’y a plus qu’un seul rite et qu’une seule forme. Par conséquent le lecteur instruit doit en conclure qu’il n’y a donc plus qu’une seule lex credendi dans l’Eglise : celle du Nouvel Ordo Missae de Paul VI. Les choses redeviennent claires. Cependant vous noterez que le pape ne parle pas une seule fois de la lex credendi, ne gardant de l’adage que sa première expression. Et pour cause…
Je laisse de côté la sainteté des pontifes invoquée ici à la rescousse de la sainteté de leur promulgation. Je laisse aussi de côté la conformité de cette promulgation aux décrets du Concile Vatican II (qui pourtant avait stipulé que l’usage du latin, partout abandonné, restait la règle générale ; comme aussi la célébration « ad orientem » jamais abrogée mais partout subvertie). Passons sur tous ces procédés révolutionnaires au sens étymologique du mot : retournement. Je ne suis évidemment pas de ceux qui pensent que la révolution conciliaire et la révolution liturgique seraient indépendantes et …fortuites !
Revenons à l’affirmation capitale de TC : le rite réformé de Paul VI est, depuis le 16 juillet 2021, la seule et unique lex orandi du rite romain. Ce qui veut dire, en toute logique, qu’il n’y en a aucune autre : c’est la seule, unica, unique. Ce qui est plus que gênant c’est que si la lex orandi est aussi, et nécessairement, la lex credendi, les autres rites latins ne statuent plus aucune lex credendi ! Chacun d’eux, et en particulier la messe traditionnelle, est comme suspendue dans le vide ; elle ne statue plus aucune Foi et à elle ne s’applique plus l’adage incontestable : « lex orandi-lex credendi ». Où donc est passée la loi de la Foi des 15 siècles d’usage de la forme antique. Aux oubliettes de l’histoire ? Cette Foi que statuait la règle de cette liturgie vénérable s’est-elle anéantie ? A-t-elle seulement existé ? Bigre !
La seule Foi qui subsisterait en Occident latin est celle impérée par le NOM. C’est exorbitant. Rendez-vous compte : si je persiste à ne célébrer qu’exclusivement la messe grégorienne je n’ai plus la Foi de l’Eglise Romaine puisqu’Elle n’a qu’une unique lex orandi qui seule statue sa lex credendi ! CQFD.
Je ne crois pas que le pape puisse penser sérieusement de telles monstruosités ; qu’il a bien écrites pourtant, et qui vont lui permettre (c’est son seul argument) de supprimer à terme cette liturgie pérenne. Il a même mesuré l’extravagance de sa thèse puisqu’il va l’infléchir dans sa lettre d’accompagnement. Venons-y.
C’est dans la lettre d’accompagnement du MP que le pape s’explique et tâche de « monnayer » sa thèse inouïe et inaudible. S’appuyant sur les principes liturgiques de Vatican II (participation des fidèles, compréhension du peuple de Dieu etc.) il pose et établit la volonté du Concile qui fut de réformer, certes, mais simplement de faire croître (sic : augmenter) le rite romain. « Force est donc de constater que le rite Romain, adapté plusieurs fois au cours des siècles (« restitué » dit saint Pie V) aux nécessités des époques, a non seulement été conservé, mais renouvelé dans le respect de la Tradition. Quiconque désire célébrer avec dévotion selon la forme liturgique antécédente n’aura aucune difficulté à trouver dans le missel romain réformé selon l’esprit du Concile Vatican II, tous les éléments du rite romain, en particulier le canon romain, qui constitue un des éléments les plus caractéristiques ».
Le tour est joué ! La lex orandi n’a en rien changé entre la messe traditionnelle et celle de Paul VI. C’est du pareil au même. Donc, la lex credendi non plus. Ce ne fut qu’un léger toilettage, selon la tradition. A tout prendre ces deux rites étant identiques (lex orandi) ils statuent tous les deux la même lex credendi. La Foi des siècles passés existait, ouf. Mais alors, pourquoi et comment affirmer dans TC que l’Eglise romaine n’a qu’une seule et même lex orandi, la nouvelle messe et que l’ordo ancien n’est plus une lex orandi ? Et si manifestement il y en a deux (puisqu’on veut supprimer celle-là pour imposer celle-ci) et qu’elles sont au fond similaires, identiques liturgiquement parlant, sur quels critères inavouables s’attacher à l’une pour éradiquer l’autre ? Comment des deux rites, au fond identiques, l’un divise l’Eglise et l’autre l’unifie ? Comment l’un serait un bon vecteur de la lex credendi et non pas l’autre… ? Etc.
On ne sortira jamais de cette contradiction-là. La vérité est pourtant très claire et, sur ce point, parfaitement commune. Il y a deux lex orandi, deux ordo missae, deux artes celebrandi, depuis 1969 dans l’Eglise. Ils statuent deux lex credendi différentes : l’une selon l’esprit de la Tradition catholique (inacceptable pour François), l’autre selon l’esprit de Vatican II (seule admise dorénavant). C’est d’ailleurs la raison unique de ce Motu proprio : éradiquer l’une et la supprimer à terme, imposer l’autre comme unique parce que, le pape le sait et montre qu’il le sait, elles sont irréconciliables.
Disons-le tout net. Les déviances « traditionalistes » fustigées par le pape et alléguées pour son geste fou n’en sont pas. Oui, la folie primitive de cette crise c’est la loi de Paul VI qui, d’un trait de plume, abolit la messe de 15 siècles de tradition et d’origine apostolique ! Nous cultivons non pas des déviances mais des exigences et des cohérences. Le pape lui-même nous le dit : vous prenez tout ou rien ; la nouvelle messe et Vatican II, l’ancienne et la théologie catholique. Divisions, rejet de Vatican II, constitution d’une « vraie Eglise », refus de la légitimité, etc. font partie du paquetage tradi de base que vous nous avez imposé par votre révolution des sixties. A force de multiplier les liturgies les plus folles en nous expliquant que tout cela venait de Vatican II, nous avons fini par vous croire, figurez-vous, et vous nous confortez aujourd’hui !
Vatican II est une telle soupe, complètement obsolète, que n’importe qui peut l’invoquer pour tirer la couverture à soi. Un document sur les moyens de communication concocté avant le Web n’a plus rien à nous apprendre. Le chapitre 1 de Lumen Gentium sur l’Eglise est-il adéquate au chapitre II sur le peuple de Dieu ? J’ai posé la question à une trentaine d’évêques ; aucun n’a su me répondre sauf Mgr Appignanesi (+) qui pensait que oui. Si l’Eglise du Christ « subsiste » dans l’Eglise catholique, alors je crois qu’elle subsiste aussi bien et mieux chez les traditionalistes. Il a fallu les acrobaties intellectuelles du Cardinal Ratzinger pour nous expliquer qu’ici « subsiste » voulait dire « est ». Je recommencerai à m’intéresser à ce funeste concile quand, conformément à ce que vous en avez bradé, vous aurez rétabli le latin dans toutes les cérémonies, retourné les autels vers l’orient, stoppé la distribution de la communion dans les paluches, rétabli au minimum un semblant d’offertoire, supprimé la berakhot juive qui tient lieu de Prex N° 2 et arrêté vos danses folkloriques en chasuble comme à Pointe-à-Pitre (la bien nommée) et à Buenos Aires d’une certaine époque, comme un peu partout dans le monde. Si le concile est une auberge espagnole, il l’est pour tout le monde, n’est-ce pas ?
Et puisque, même avant sa mort, on a osé mettre complètement à terre l’édifice fragile que le pape Benoît XVI avait élevé avec tant de mal (en particulier par sa distinction discutable d’un unique rite romain en deux hypostases) il nous reste à tenir bon jusqu’à ce qu’un autre pape rétablisse la lex credendi dans toute sa force apostolique. Ce qu’un pape a fait un autre peut le défaire, c’est prouvé ! Comme me disait le Cal Ranjit au lendemain du MP de Benoît XVI dans son bureau romain de Préfet de la Congrégation des Rites : « Nous avons mis la vérité et l’erreur sur le même pied ; il convient à présent de supprimer l’erreur ».
Vous cherchez des « traditionis custodes » des gardiens de la Tradition ? Nous voilà ! Comme disait Tertullien : « Nous ne sommes que d’hier et nous remplissons tout ! » Et voilà bien le vrai motif de ce Motu Proprio qui pue la haine.
Fontes : Blog Abbé Laguérie